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Sébastien Brebel
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Nous menions, ma soeur et moi, une existence idéalement paisible - une existence qui, à bien des égards, évoquait le paradis. Notre paradis immobilier, répétait Léonie, qui s'était toujours refusée à me dire à qui appartenait l'appartement et combien de temps nous pourrions l'occuper sans en être chassés.
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Un homme se réveille dans une voiture accidentée, qu'il abandonne au milieu d'un champ. Il continue à pied sur la bande d'arrêt d'urgence, avant d'être pris en stop par un automobiliste volubile. A la nuit tombée, ils arrivent dans un village qui se révèle être celui de sa grand-mère. Dès le lendemain, il fait une série de rencontres surprenantes : une femme seule dans un lotissement dont le mari s'est volatilisé dans la nature, une pharmacienne névrosée qui a bien connu sa mère, la tenancière de l'auberge et son étrange compagnon, un paon dénommé Léon. Dahlia, l'amie du compositeur Lutz, qui vit dans une ferme à l'abandon et entraînera le narrateur dans une forêt située non loin du village, au bord d'un précipice vertigineux.
Dans une chambre, les pensées s'incrustent dans les motifs des papiers peints à fleurs, et les rêves se confondent avec les souvenirs. Les heures filent à toute allure, et on se retrouve sans l'avoir voulu au guidon d'une mobylette sur la voie rapide.
Est-ce la même personne, vraiment, qui entre dans un labyrinthe et en ressort ?
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Le narrateur de Villa Bunker reçoit des lettres, des dizaines de lettres rédigées par sa mère depuis une villa de bord de mer juchée sur la falaise, isolée des autres habitations.
Ces lettres racontent le séjour impossible de ses parents dans une maison inhabitable, trop grande pour eux, qui se révèle après quelques jours un labyrinthe où les souvenirs refluent, imprévisibles, et où les états d'âme se succèdent, contradictoires, corrosifs. D'abord confrontés au mauvais état de la villa et à la difficulté de s'y repérer, les parents assistent, impuissants, à la détérioration de leur état psychologique.
Faut-il accuser les effets pervers d'une architecture aberrante? Incriminer la situation d'isolement de la villa? Soupçonner la folie latente de ses occupants? De déchiffrements en interrogations, le narrateur devient bientôt lui-même la proie d'une villa qui, à l'image de la mémoire et du temps, ne cesse de se métamorphoser.
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Tous les après-midi, le notaire déchu délaisse son étude et parcourt les routes départementales du Maine-et-Loire à la recherche de la phrase décisive qui ouvrira son anti-testament.
Il laisse derrière lui un fils idiot inlassablement occupé à ses puzzles. Son errance le conduit jusqu'au fermier germaniste qui, retranché dans sa ferme, a renoncé un jour aux travaux de réfection pour se consacrer à la lecture des auteurs allemands. Une rencontre étrange se trame entre les deux personnages, dans le décor dépouillé d'une rase campagne.
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Une femme seule, désoeuvrée, occupe une villa de bord de mer. Temps suspendu de l'ennui : passé et présent coexistent dans l'ajournement de tout avenir. L'extérieur reste abstrait, quasi-irréel, contemplé dans le cadre nettement découpé d'une baie vitrée. L'action n'est pas refusée, elle est située hors champ. Dans ce texte qui a donné son nom au recueil, le drame n'est pas absent, mais il n'est jamais nommé.
Les treize autres nouvelles qui composent La Baie vitrée évoluent dans le même trouble. « Contradiction » lance la machine, sur une note méchante et acérée, et « Intimité » clôt le livre dans le climat désenchanté de la rupture. De l'un à l'autre, il n'est jamais sûr que l'on ait changé de motif : chaque texte peut être lu comme une variation du désir, dans sa dimension mortifère, jalouse, obsessionnelle ou mélancolique. Et même s'il n'y a pas de progression chronologique ni de lien narratif manifeste entre chaque récit, il n'est pas interdit de penser qu'ils prennent tous leur source dans l'âme d'un même narrateur, tour à tour exalté, déprimé, et finalement insaisissable.
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Rétabli. J'habite maintenant une chambre d'immeuble, dans une tour étrangement calme, à la périphérie. Et je me dis que ma vie nouvelle a commencé, dans cette chambre silencieuse et sommairement meublée. Pas longtemps seul. Sauvage ne dit plus rien, il m'observe tranquillement, le visage fermé : arrimé à son fauteuil, il écoute mon récit avec une curiosité violente, péniblement contenue sous l'échafaudage de patience et de politesse. Un animal à sang froid, ai-je souvent pensé de lui, tout entier dissimulé au-dedans de soi-même et distillant le malaise par doses régulières, savamment calculées à l'avance, ses lunettes noires opposant comme une fin de non-recevoir à toute tentative de sonder sa pensée. Je commence à comprendre. Et je revois le fauteuil qui occupe tout à coup le devant de la scène, et je pense au chemin parcouru par ce fauteuil, et je me dis que le fauteuil de Sauvage est parvenu bel et bien au terme de sa course sur le chemin qui mène Sauvage à l'objet de sa curiosité.