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fouad el etr
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Douze ans après un bref séjour en Chine, dont il avait rapporté des centaines de haïkaï, l'auteur nous invite à un voyage, jour après jour, dans son voyage, tirant de sa mémoire les essaims, comme d'une ruche, et de son imagination, des mots-abeilles qui bourdonnent avec une vigueur nouvelle dans ces pages, nourries des thés nombreux qui l'empêchent de dormir.
C'est un enchantement de voyager avec lui en prose et en poésie, de passer de l'une à l'autre si naturellement, sur les plus hauts sommets ou sous la neige, parmi les calligraphies et le parfum des temples, dans la discrète compagnie de Li Bai, Du Fu et Wang Wei, ses amis, qui lui répondent « par ellipses, pénombre et vers interrompus ».
Comment ne pas le suivre dans l'avion qui remonte, comme des échelles à saumons, les fuseaux horaires, jusqu'aux poissons rouges, bleus ou transparents, qu'il retrouve chaque soir devant l'aquarium de l'hôtel ; sur les toits volants, ou en pagode, surmontés de da'wen, qu'il rapproche des caractères, tout aussi incurvés, et habités, de l'écriture chinoise ; ou dans ses joutes poétiques avec des poétesses de Shanghai ou ses rencontres, également inopinées, de danseuses du Bolchoï gazouillant Pouchkine dans un bimoteur en détresse, et quelques jours plus tard flânant comme des flamants roses sur la Grande Muraille ?
C'est une visite in fineà une Chine absente, derrière la recherche forcenée de la modernité et du progrès, qui lui indique le chemin du retour, et qu'il nous fait découvrir comme les cigales quand elles font silence ou dans leur lumière intermittente les lucioles.
Poisson de roche.
Se faufile l'avion.
Et ressort des nuages.
Ébouriffé.
Sur la plus haute branche.
Après la tempête.
Dans le torrent.
Des neiges tressées.
Comme du coton.
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Écrits à cinquante ans d'intervalle, sous des éclairages différents, ces deux textes, «Esquisse d'un traité du pastel» et «L'Escalier de la rue de Seine», évoquent le roman picaresque, il n'y a pas d'autre mot, de La Délirante et de ma vie, c'est tout un, et de l'amitié créatrice qui m'a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure. [F. E.-E.]
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Irascible silence, illustré d'une eau-forte, placée au frontispice de l'ouvrage, de Paolo Vallorz, comprend une quarantaine de poèmes ; c'est le septième recueil de Fouad El-Etr, dont on rappelle Comme une pieuvre que son encre efface, entre autres titres, et Là où finit ton corps, vendus à près de cinq mille exemplaires, et les traductions de Synge, Yeats et Shelley, et, plus récemment, des poèmes de Keats, qui ont servi aux versions sous-titrée et française de Bright Star !, le film consacré par Jane Campioin à ce poète.
Qu'il évoque un paysage familier de Toscane ou la femme aimée, l'apparition de sa mère le jour de son anniversaire, ou la visite que lui fait son ami disparu, le peintre Gérard Barthélémy, et le portrait inachevé qu'il lui laisse de lui en partant, Chef-d'oeuvre inoubliable.
Du peintre qui peignait les regards.
De mon visage l'invisible.
On sent toujours chez Fouad El-Etr la présence palpable, physique presque, de l'invisible autant que du visible, dans la même unique hypostase, des morts que des amants Montant et remontant.
Les échelles du temps.
Ma mère dans mon sommeil.
Comme la bruine avec la brise.
Reprit la route plus légère.
Une même musique sans musique passe dans ces poèmes retenus, quels que soient leurs mètres ou leurs thèmes, la même recherche d'une commune transparence des sens et de la langue. « Il y a chez lui », a pu écrire Angelo Rinaldi, « dans un lyrisme altier et sobre à la fois, quelque chose de Constantin Cavafys », comme lui natif d'Alexandrie.
Quelques poèmes, grands ouverts, accueillants, l'essentiel, presque rien, l'infini d'un corps, la mort effleurée, la vérité des rêves, la couleur du vent Le vent s'effeuille dans les feuilles.
Comme un qui se réveille.
Le vent a perdu son chapeau.
D'étoiles et ses feuilles mortes.
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À l'origine de ce récit, l'escapade de trois jeunes gens dans une vieille demeure, Bois Clair, où allaient se graver ces scènes primitives de l'amitié et de l'amour, comme un Âge d'or et d'innocence, au fond d'une forêt d'automne battue de pluie et poésie.Pour ne pas gâcher l'amitié et l'amour, ni couper trop tôt sa prose juvénile de l'émotion qui l'avait fait naître, il aura fallu au narrateur poursuivre le plus loin possible son voyage initiatique après la mort de ses amis, le jeune homme et Diane, et leur image roussie, de l'autre côté.On reconnaîtra peut-être un philosophe, dont le suicide du haut de la tour Montparnasse n'aura cessé de hanter l'auteur, et sa femme, une essayiste et romancière, qui lui survécut une trentaine d'années et inspira, entre autres figures féminines, le personnage de Diane.
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Sous l'apparente fluidité de leur cours, l'écho que laissent en nous ces poèmes n'en est pas moins hermétique, non que nous ne comprenions pas, mais comme si nous faisions à la fin partie d'un secret, le secret du poète : « Seul est visible l'invisible / La transparence est mon secret. » Partant de l'amour du monde, cette poésie est invinciblement aimantée vers le coeur mental qui en assure l'unité et la possibilité même d'y vivre. Et c'est le langage lui-même qui est saisi au plus près du corps, dans sa gangue primitive, « les mots que sont tes lèvres quand tu parles » ou « les mots qui viennent comme l'eau », et nous nous émouvons aussi de ces daurades dont on ne sait si c'est leur sonorité ou leur forme ou quelque souvenir encore qui vient les faire bondir sur la page.
En hésitant désir comme un essaim d'abeilles.
J'éveille la beauté la beauté me réveille.
Je défroisse des sens la translucide élytre.
Rêve au-delà du rêve dans la chaire entr'ouvert..
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Qui ouvrira ce livre s'étonnera peut-être, en ces temps d'incertitude, de lire des poèmes dont la poésie ne soit pas problématique, nous voilà d'emblée en présence d'un poète qui, s'il ne « craint pas le bonheur », ne craint pas de même la poésie. Et ces poèmes sont autant d'ouvertures immédiates à cette essence de la poésie que tant de « modernes » tentent de cerner si discursivement qu'ils finissent par nous en éloigner.
Les signes de cette présence tiennent autant à la maîtrise d'un rythme qu'à la place dominante de l'amour ; car si le rythme donne son unité formelle au poème, c'est peut-être parce qu'il est le calque du temps de la vie et de l'amour dont ces vers sont à la fois la cristallisation et la célébration.
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Le poète nous parle de l'essence périlleuse de la rencontre amoureuse et dit comment la mort est venue à lui « sous les traits d'une lune », à son insu. Rien de littéraire dans ces poèmes : cette Mort si vivante, « De sa beauté menant l'absence / La blanche absence dans la chambre », a réellement déplié son aile et bu le sang rouge de son amant. Plus que jamais, la vocation bouleversante et fatale de la femme est sentie jusqu'au vertige du nuage d'infini, lorsqu'elle s'échappe en se nommant : « Je suis la Mort dis-tu / Mais la mort elle-même / De moi n'a pas voulu », mais sans cesser de le tenir par ce rendez-vous manqué encore mieux à sa merci. De ce vertige amoureux ou mortel, l'art si juste de Fouad El-Etr nous révèle et nous cèle, de silence à silence, ce qui peut être dit ou devrait être tu.
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Fouad El-Etr chante ici, dans de courts poèmes aux vers brefs, les amants pour qui le plaisir est une ascèse et l'étreinte une quête. « J'ai un désir qui te ressemble / Les mains sur tes seins / J'écoute mon coeur. » La chambre est éclairée d'une bougie, « sur la colline tremble un chêne », mais regarder son amante, « le sang rougi à ses yeux verts », c'est aussi prendre la mesure du réel. Entre Vénus et Mars baigne dans l'obscurité des gestes amoureux, et cette obscurité se creuse dans l'extase. Les amants sont les derniers mystiques et leurs étreintes autant de prières et de méditations. Arrachés à eux-mêmes, ils accèdent alors à une forme supérieure d'existence, devenant de cosmiques rêveurs :
Et le songe où leurs têtes reposent.
Comme dans l'espace deux planètes.
Qui s'appuient l'une à l'autre à distance.
Doucement se repoussent les berce.
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Tout encore est contenu, sans être dit, dans un beau titre : cette merveilleuse présence de la femme aimée encore plus sensible dans son absence, avec laquelle le poète se découvre endormi « comme les deux pages d'un livre ». Le jet d'eau a un profil de jeune fille et « les guêpes dans les jardins divaguent de gourmandise ». Comment ne pas suivre Fouad El-Etr sur les collines de Toscane « De feuilles de vigne tressées / Qui poussaient avec leur poitrine / Des soupirs longs tels des cyprès », ni évoquer la solitude mélancolique d'un des derniers poètes lyriques de notre temps ?
Dans une rue en pente légère.
Qui a le nom d'un instrument à cordes.
Et celle pluie qui m'entraînait.
Sans le savoir à ta rencontre.
Pour être plus seul cette nuit.
Je m'étais même dépouillé.
En marchant de ma solitude.
Et ton absence fut mon limier.
Je m'en allais d'un pas nocturne.
L'eau verticale à mon côté.
Dans la profonde ardoise des rues.
Pesant la terre avec mes pieds.