Depuis quelques décennies, une série d'élus, de représentants professionnels, d'entrepreneurs, d'agents d'influence ou d'experts s'efforcent de faire reconnaître un problème: les emplois seraient particulièrement durs à pourvoir en France, constituant une menace redoutable pour l'économie nationale. On n'échappe désormais plus à la litanie des centaines de milliers d'emplois non pourvus, régulièrement serinés dans des journaux, à la télévision, à la radio ou sur des réseaux sociaux. Ce problème prendrait même la forme d'un paradoxe, puisque les difficultés de recrutement atteindraient des sommets... en même temps que le nombre de chômeurs. Ces derniers sont donc mis en cause et accusés de fainéantise, ce qui en motive certains à abaisser encore plus le salaire qu'ils espèrent toucher. Pour dénouer le paradoxe apparent entre une multitude d'offres et une multitude de chômeurs, les porte-paroles de cette cause n'envisagent guère de concessions aux candidats et aux salariés. Ils privilégient plutôt une dérégulation du marché de l'emploi et une dégradation des conditions de travail dans les entreprises. Au risque de rendre encore plus difficiles les recrutementsÂ? Bien entendu, car ce discours est éminemment idéologique et mobilisé pour justifier un programme politique libéral. Les pages qui suivent s'inscrivent radicalement en faux contre cette thèse. Motivées par un certain agacement face à la nature du débat public et à l'admission de thèses farfelues, sans aucun fondement, elles constituent une réponse point par point. Elles mettent en doute le volume des emplois non pourvus, qui demeure résiduel. Elles soulignent l'incohérence des discours à ce propos, qui se contredisent mutuellement. Elles recherchent les responsabilités d'une telle situation, au-delà de la culpabilisation des chômeurs, bien commode pour faire oublier les modes de recrutement en vigueur. Elles analysent la manipulation politique du sujet par des élus ou des représentants du patronat, pour obtenir des réformes sans aucun rapport avec la question. Par le biais de cette étude, l'ouvrage poursuit plusieurs objectifs. En premier lieu, il vise à dissiper des malentendus, des raccourcis ou des présentations fallacieuses sur le sujet du non-pourvoi des offres. En rappelant plusieurs données fondamentales et en discutant leur signification, il éclaire un débat où de nombreux termes ou chiffres sont assénés sans explication. Il compile ainsi la littérature sociologique sur le sujet et la croise avec les terrains d'enquête de l'auteur. Cela permet de constituer une synthèse empiriquement fondée des motifs pour lesquels un emploi peut n'être pas pourvu, ainsi que des motifs qui conduisent néanmoins des individus à en profiter pour blâmer les chômeurs.